Rio de Janeiro : devant notre domicile de la rue Payssandu
Mes premiers pas
Brésil, 1921-1937
Je suis né le 28 février 1921 à 20h45 heure locale à Curitiba au Brésil. Comment peut-on naître là bas ? Il y a une chanson célèbre, Le Consul à Curitiba, les gens plaisantaient beaucoup mon père avec elle, et c’est toute une histoire…
Je suis le fils d’un Alsacien, Jacques Clostermann – diplômé H.E.C. et authentique héros de la grande guerre de 14-18, et de Madeleine Carlier, Lorraine.
Mon père a combattu comme officier au 9e bataillon de chasseurs à pied, trois fois blessé il a été décoré de la Légion d’honneur et de la médaille militaire. Une de ses citations a même été publiée dans l’Illustration qui, tous les ans pendant la guerre, consacrait un numéro aux ‘Cent plus belles citations de l’année’. Parmis elles, celle de papa… Et il recommencera avec de Gaulle : officier de la Légion d’honneur, médaille de la Résistance et croix de guerre 39-45 !
En 1918 il essuie l’explosion d’une grenade et perd un œil. Il est rapatrié sur l’hôpital de Rouen où il fait la connaissance de ma mère qui y travaille comme infirmière. C’est là que le roman familial a commencé…
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Après la première guerre il est reçu au concours d’entrée dans la branche financière du Quai d’Orsay. Il est alors envoyé en mission au Brésil pour aider à la mise en place de la nouvelle banque franco-italienne pour l’Amérique du Sud basée à São Paulo.
Le jour où je me suis annoncé, ma mère devait accoucher en France mais son paquebot n’arriva jamais à Rio. Devant trouver un endroit convenable au Brésil, mon père jeta son dévolu sur la petite ville de Curitiba, dans une charmante région au climat pareil à celui de la Suisse et avec de très bons médecins. Ce choix lui valut les taquineries de son entourage pendant de nombreuses années car il y avait à bas une chanson – qui sera immortalisée plus tard par Jean Marco : Monsieur le consul à Curityba.
Mon père alternant des missions à Santiago, São Paulo, Montevideo ou Rio de Janeiro, ne voulait pas me balloter de lycée français en lycée français. A 9 ans il m’envoya donc en pensionnat en France à l’école Notre Dame de Boulogne. Je n’allais plus au Brésil que pour les vacances et c’est mon oncle, Robert Aubry, entrepreneur de travaux publics et adjoint au maire de Corbeil qui s’occupait de moi le week-end.
Il avait été pilote sur Bréguet XIV pendant la grande guerre, dans l’escadrille Vuillemin et rapidement l’enfant que j’étais fut passionné par cette aventure du ciel. Mais je m’intéressais aussi à la marine à travers les livres de Paul Chack, aux grands navires, aux lointains voyages et – passion qui ne m’a jamais quitté depuis, aux Indiens des grandes plaines dont la bibliothèque de l’école était bien fournie en auteurs tels que Fenimore Cooper ou Mayne Reid.
Je buvais les récits de mon oncle pilote tout en me rappelant ma première rencontre avec un avion. Elle avait eu lieu plusieurs années auparavant, au tout début de 1925 – je n’avais pas encore 4 ans. L’aéropostale testait à cette époque de nouveaux trajets pour ouvrir des lignes entre le Brésil et l’Argentine.
Ces avions, des biplans devenus légendaires comme le Latécoère 27 et le Bréguet XIV, rencontraient sur ces parcours de plusieurs milliers de kilomètres, traversant des montagnes, de nombreux problèmes techniques. En janvier 1925 les essais de la ligne Rio de Janeiro – Buenos Aires n’y coupèrent pas et un avion fut contraint d’atterrir en urgence sur la plage de Santos après son décollage du petit aérodrome de São Paulo.
La nouvelle de la panne qui immobilisait l’appareil pendant plusieurs jours se répandît dans la région. Mon père décida alors d’emmener son jeune fils voir cet avion qui semble le précurseur d’une grande avancée technologique. Les pilotes et leurs montures étaient alors une curiosité et les essais de l’aéropostale, une attraction permanente. Il faut savoir que l’aviation était la grande fierté des brésiliens qui se voyaient à son origine avec le célèbre Santos Dumont.
Effrayé par le bruit de l’essai moteur, j’éclate en sanglots et me cache dans les jambes de mes parents. Après avoir coupé le contact, le pilote – qui avait assisté à la scène du coin de l’œil, saute de l’appareil et s’adresse à mon père par ces mots : – Ne vous inquiétez pas, il ne sera jamais pilote celui là ! C’était le grand Paul Vachet… le pionnier de la ligne. En 1964, il citera avec humour cette anecdote dans ses mémoires et, honneur suprême, me proposera d’en rédiger la préface.
J’avais 13 ans en 1934 et suite à une bêtise dont bien entendu seuls moi et mon meilleurs ami devaient être responsables, je me fait renvoyer de l’école Notre Dame. Je décide de devancer mon père prévenu la veille par télégramme et j’entame la traversée, seul, prenant le chemin de Bordeaux où était appareillé un paquebot brésilien en partance, le Siqueira Campos.
C’était une vieille barcasse, un de ces bateaux commerciaux offerts par l’Allemagne au Brésil en compensation de la guerre de 14 et qui tenait à peine la mer. Pris dans une effroyable tempête, nous perdons soudain le gouvernail et essayons tant bien que mal – plutôt mal que bien, de naviguer aux hélices.
Les tables se renversent, la vaisselle se brise, les passagers s’agrippent où ils peuvent et le piano vient s’encastrer dans le bar. Autant dire que je ne me suis jamais autant amusé !
Après trois semaines de traversée j’arrive à Rio de Janeiro et, comptant mes abattis, je me dirige vers le domicile de mes parents qui se situait au bout de la rue Payssandu, face au palais Guanabara dans le Laranjeiras, le quartier des ambassades.
Je suis automatiquement désigné pour une fessée par mon père qui avait horreur de me corriger. Il tapotait en me chuchotant de crier plus fort car ma mère l’accusait d’être trop doux avec moi. Et me voilà reparti, cette fois-ci pour le lycée Hoche de Versailles. Je venais de faire 15 000 km et un mois et demi de traversée seul à 13 ans pour recevoir une fessée !
Au lycée Hoche dans les années 30 nous portions des uniformes quotidiens assortis d’une cape d’un autre temps. Quant aux dortoirs, ils étaient à mourrir d’ennui… Malheureux comme les pierres je file au lycée Notre Dame pour pleurer dans l’espoir qu’ils me reprennent. Avec bonheur c’est chose faite et il ne me restait plus que deux ans pour passer mes baccalauréats.
En 1935 mon père participe a un voyage d’affaire dans les Landes. Je le rejoint pour les vacances et décide de passer mon temps libre à la pêche aux brochets.
Il était très ami avec Paul Claudel au Brésil, lequel était aussi administrateur de la société Gnome et Rhône qui fournissait des moteurs pour les avions. C’est ainsi qu’un après midi je me retrouve entre le mécanicien de chez Latécoère, le pilote Bonnot et le maire de Biscarosse. Ces trois personnages qui s’appelaient tous Bonnot ou Bonneau – surnommés La bande à Bonnot, m’ont permis de réaliser un rêve : mon baptême de l’air !
Je fut baptisé sur un hydravion géant, le Latécoère 521 Lieutenant de Vaisseau Paris qui était stationné sur l’étang de Biscarosse. J’avais l’impression d’entrer dans la cage thoracique d’un diplodocus, avec des escaliers intérieurs et un bruit métallique assourdissant à chaque pas. Il était tout de suite évident que des marins avaient inspiré un engin pareil !
Soudain les six moteurs Hispano-Suiza s’ébranlent dans un vacarme impossible et parviennent à arracher le monstre de la surface. Fort heureusement ma mère, qui suivait ce périple depuis le rivage avec un œil angoissé, ne voyait pas les mécaniciens ramper à l’intérieur de l’aile en plein vol pour tripoter les moteurs et effectuer des réglages !
Poursuivant mon cursus j’arrive à l’année tant attendue de 1936. J’ai 15 ans. Au lycée Notre Dame je passe avec succès mes deux baccalauréats latin-sciences et sciences-langues pour (enfin !) rentrer définitivement au Brésil.
Ma mère me voyait avec inquiétude commencer à m’intéresser aux jolies brésiliennes sur la plage de Copacabana. Il fallait donc m’occuper et mes parents décidèrent de m’inscrire au Liceu Franco-Bresileiro, le lycée français de Rio de Janeiro, pour un troisième baccalauréat, de philosophie celui-là. De grands professeurs français y étaient envoyés durant quelques années pour enseigner – et c’était tout le contraire d’une punition ! J’ai ainsi eu l’immense privilège d’assister aux cours de Pierre Deffontaines et du grand Robert Garric lequel me récompensera par une merveilleuse citation à propos de mon Grand Cirque quelques années plus tard !
En 1926 le lycée était installé rue Catete mais se trouvait alors dans une situation précaire après une administration incompétente d’un seul proviseur depuis sa création. L’ambassadeur Conty, représentant la France au Brésil depuis 1919 déclara que le lycée français de Rio devait être le principal instrument de diffusion de la langue française et il entreprit tout son possible pour le sauver.
Reconstruit en 1930 par l’architecte Gabriel Marmorat au 13 rue de Laranjeiras, à quelques pas de notre domicile, il devint un modèle de réussite d’institution scolaire. Son bâtiment de style Art Déco existe d’ailleurs encore aujourd’hui et n’a pas changé de destination.
Je remarquais une jeune fille de 15 ans, Sybille, qui se trouvait une classe en dessous de la mienne et se faisait malmener par ses camarades. Mon côté chevaleresque pris le dessus et nous avons rapidement sympathisé.
A la même période, toujours passionné par l’aviation, je me tenais au courant des dernières innovations ainsi que de l’actualité internationale bouillonnante dont je m’abreuvais avec les journaux de mon père, commentant les évènements avec lui.
Le grand journal libéral de Rio, le Correio da Manhã, ayant une rubrique aviation, a fait paraître un beau matin dans ses colonnes les propos de l’attaché militaire italien qui vantait la grandeur du corps expéditionnaire aéronautique de Mussolini pendant la guerre d’Espagne. On nous prends vraiment pour des idiots ! Convenant avec mon père que nous devions répondre, je rédige mon premier article, quelque peu enflammé, qu’il me conseille de signer d’un pseudonyme. Je choisit ‘P. Henry C’. et commençais à lorgner chaque jour ladite colonne dans l’espoir d’y trouver ma réponse. (en savoir plus : les articles de P. Henry C. dans le Correio da Manhã)
Trois jours plus tard, à la sortie du lycée, je discutais sur le chemin du retour avec Sybille. Passant devant un kiosque j’achète le Correio da Manhã et vérifie si mon premier article avait été retenu.
Mes yeux s’arrêtant sur mes propres mots, je bondit. Regardes Sybille ! c’est moi qui ai écrit celui-là ! Bien sûr elle ne voulait pas me croire et me demande de lui faire lire à l’avance le prochain, ce que je fis. Trois jours se passent et devant le lycée apparaît une grosse Buick noire. Il en sort un homme de grande stature qui avait un peu le style de Cary Grant. Sybille court l’embrasser et me présente à son père !
« Alors c’est vous qui écrivez des articles ? C’est étonnant pour votre âge ! Je me présente, Paulo de Bettencourt, je suis le directeur du Correio da Manhã. Votre père est prévenu, je vous emmène à la maison pour déjeuner. »
En voilà une coïncidence ! Je portais donc les livres de la fille du directeur du journal pour lequel j’écrivais clandestinement et dont j’ignorais totalement le nom ! Quelle erreur de débutant !
Ils habitaient au Largo do Boticario – un endroit merveilleux avec de somptueux jardins qu’Edmundo Bittencourt avait fait construire dans un style néo-colonial en 1920, malheureusement en ruines aujourd’hui.
Je lui explique mes lectures internationales et mes passions. Il m’écoute attentivement et me dit : – Très bien, je vous engage ! Deux articles par semaine, je vous paye tant ! C’est ainsi que mes premières leçons de pilotage étaient financées par les articles que j’ai continué à écrire jusqu’à mon départ pour la guerre. Paulo Bittencourt comme il était orthographié en portugais, devint rapidement un proche ami de mes parents. Il n’a ensuite jamais cessé de me soutenir et en particulier dans mon projet de vacances un peu fou : la construction d’un avion en 1939, basé sur mes études en aérodynamisme au Caltec pour lequel j’étais parti à la fin de l’été 1937.