Le HMS Scheffield touché par le premier missile Exocet jamais tiré depuis un Super Etendard

Le Grand Cirque des Malouines (Partie 2)

Article Paris Match du 10 décembre 1982

La Royal Navy prend le large, hors de porté de l’efficacité et de l’agressivité argentine

La Royal Navy ne devait revenir en force que dans la nuit du 20 au 21 mai précédant le débarquement, se contentant de quelques incursions navales de reconnaissance presque chaque fois contrées par l’aviation argentine.

Fig. 1 : Le capitaine Carlos Perona réussit à s’éjecter de son avion aux ailes arrachées.

A chaque éclaircie, l’activité aérienne anglaise reprenait, surtout des raids de Harrier sur Puerto Argentino, Port Louis, Darwin qui se soldèrent par la perte d’une demi douzaine d’entre eux, abattus par les très efficaces canons de 35 mm Oerlikon et les missiles sol-air Roland, auxquels s’ajoutèrent deux Harrier abattus par les Mirage, un troisième détruit dans une collision avec un Mirage III piloté par le capitaine Perona qui réussit à s’éjecter de son avion aux ailes arrachées, transformé en projectile. A ces pertes vinrent s’ajouter, selon les Anglais, quatre Harrier détruits par accident.

La Royal Navy, qui ne disposait que de 28 Harrier, en tenant compte des avions endommagés et de leur fragilité, au contact des dures réalités de la guerre, dut faire appel aux Harrier de la RAF. En même temps que la marine embarquait six Harrier de réserve démontés sur l’Atlantic Conveyor, la RAF en prélevait 9 sur les squadrons 1 et 233 en Allemagne, qu’elle expédiait en vol, ravitaillés par des tankers Victor, formidable performance car les pilotes devaient voler dix-huit heures et se poser ensuite sur un porte-avion pour la première fois de leur carrière !

Le 4 mai, c’est le coup de tonnerre du Sheffield.


Un ingénieur remarquable relevait le défi

L’Aéronavale argentine avait reçu, à la mi-décembre 1981, cinq premiers Dassault Super Etendard sur douze, ainsi que cinq sur vingt-quatre missiles anti-navires à longue portée Exocet, fabriqués par l’Aérospatiale. L’Embargo d’avril bloqua en France le reste de la commande.


Fig. 2 : Super Etendard de la Fuerza Aerea Argentina (© Thierry Le Masson)

Les cinq avions furent pris en compte par la 2e Escadrille de chasse de la Marine argentine, sur la base d’Espora et son commandant, le capitaine de Frégate Jorge Luis Colombo ordonna un programme accéléré de formation pour les pilotes mais, cependant, au 1er mai ils avaient chacun moins de 45 heures de vol sur l’appareil.

Par contre la prise en main du radar Agave, de la plateforme inertielle de navigation et du calculateur digital fut rapide.

Fig. 3 : Arrimage du premier missile Exocet jamais adapté sur un Super Etendard

Le 7 avril, après l’annonce du départ vers les Malouines de l’armada britannique, l’ordre vint d’intégrer les Exocet au système de l’avion, avec un interface délicat entre le missile et la centrale de calcul, travail d’autant plus difficile que jamais, même en France, un Exocet n’avait encore été tiré en vol d’un Super Etendard.

Disposant simplement d’une maquette inerte et de manuels techniques, les spécialistes argentins de l’électronique de l’Arsenal aéronaval n°2, dirigé par un remarquable ingénieur, relevaient le défi. En dix jours, l’intégration missile-avion fut réalisé et l’ensemble déclaré bon de guerre. Le 19 avril, les Super Etendard partaient pour Rio Grande.

Le mardi 4 mai à 9h15, un avion Neptune repérait au radar une importante formation britannique comprenant un porte-avion à 100 miles nautiques au sud de Puerto Argentino soit à 380 miles de la base de Rio Grande. Cette task force procédait cap au sud à grande vitesse, probablement à destination d’un objectif sur la côte continentale de l’Argentine.


Fig. 4 : Neptune de la FAA (© Ranec)

A 9h35, deux Super Etendard, équipés chacun d’un Exocet, décollaient rendez-vous pris avec un C-130 de la FAA, complétaient les pleins à 250 miles de l’objectif avant de reprendre leur route à 10h30.

Les avions rencontraient bientôt un front de pluie et de neige fondue, moins de 1 000 mètres de visibilité horizontale et 300 pieds de plafond réduit à zéro dans les traînes de stratus collés à la mer, qui les forceront à un périlleux rase-motte intégral à 500 nœuds.

10h48, le Neptune confirmait la position d’un grand navire, de deux moyens et trois plus petits, par rapport aux Etendard à 115 miles dans leur 105°.

Fig. 5 : Les dégâts du missile Exocet sur le HMS Sheffield

A 11h22, les navires apparaissant, bien net sur les scope-radars des Etendard, les systèmes d’acquisition de cible des Exocet se mettaient en route et à 11h04 les deux Exocet étaient tirés, comme à l’exercice, à l’altitude et à la portée requise par les manuels. Six cent soixante kilos d’Exocet quittaient l’aile droite de chacun des Etendard, les basculaient vers la gauche et les pilotes, accompagnant le mouvement, dégageaient et reprenaient le chemin du retour, se posant à 12h30 sans encombre sur leur base.

Le tandem Super Etendard-Exocet venait, avec l’explosion du Sheffield, d’ouvrir un nouveau chapitre dans la longue histoire des tactiques navales.


Le 25 mai, une autre paire d’Etendard tirait 2 Exocet et coulaient le grand navire porte-conteneurs « Atlantic Conveyor » qui sombrait avec plusieurs hélicoptères, dont trois hélicoptères lourds Boeing Chinook, six irremplaçables Harrier et un matériel considérable. Il ne restait plus qu’un seul précieux Exocet.

Fig. 6 : Le porte-conteneur Atlantic-Conveyor sombre avec un matériel considérable.

Entre-temps, les Etats-Unis volaient au secours des Anglais en difficulté secoués le 12 mai par un autre raid de Mirage et d’A4 qui mettaient hors de combat deux frégates 22 et deux frégates 21 – probablement le Brilliant, le Broadsword et les gracieuses Arrow et Active. Il s’agissait de très beaux navires anti-aériens, les plus modernes de la Roya Navy, surpuissants et maniables, propulsés par des turbo-réacteurs Rolls-Royce Olympus – les mêmes qui équipent le Concorde, développant 55 000 chevaux, dotés d’un armement hautement spécialisé contre avions. Ainsi les chasseurs, le radars, les missiles ati-aériens britanniques se révélaient déficients, incapables d’arrêter non seulement les Mirage mais encore les vieux A4 Skyhawk qui s’avéraient, même chargés de bombes, plus rapides que les Harrier au ras du sol.


La Royal Navy s’engage en force dans le détroit

Un pont aérien de gros porteurs C-141 de l’US Air Force, via le Brésil et l’Afrique, s’établit entre les Etats-Unis et l’île d’Ascension. es Américains prenaient en main la logistique et entre autres le réarmement des Harrier en missiles air-air ultra modernes, les Side Winder AIM 9 M et livrant par exemple, des équipements ultra sophistiqué pour tenter de mettre hors d’action le radar de contrôle argentin des Malouines.

Fig. 7 : Le Vulcan XM597 de la RAF photographié à Rio de Janeiro (1982)

Il fallut qu’un Vulcan, qui avait raté son ravitaillement en vol et détruit sa perche, se pose en détresse au Brésil pur découvrir l’étendue de l’aide américaine. Les Brésiliens et divers attachés militaires purent admirer les missiles anti-radar AGM 45A de Texas Instruments, les pods US Westinghouse ALQ 199 de brouillage et de contre-mesures et même, fin du fin, un missile Harpoon…


Fig. 8 : Le Vulcan XM597 de la RAF intercepté au Brésil (© Clave)

Cette masse d’équipements allaient éviter in extremis l’échec de l’expédition britannique et permettre le débarquement dans le petit fjord de San Carlos, malgré le courage d’une poignée de jeunes pilotes argentins.


Fig. 9 : Pierre Clostermann pose avec quelques survivants de la IVe brigade de A4 (novembre 1982)

Dans le nuit du 21 au 22, la Royal Navy s’engagea en force dans le détroit de San Carlos et par une manœuvre brillante de l‘amiral Woodward permettait la mise à terre d’un régiment de commandos et des Royal Mariners. Au lever du jour, le 21 mai, les commandos occupaient déjà les collines abruptes flanquant le fjord. L’endroit était si bien choisi car les avions ne pouvaient approcher en rase-motte tandis que les postes de DCA anglais, sur les hauteurs, étaient en position de participer efficacement à la défense. Par contre, les navires manœuvraient mal dans ces eaux resserrées…

Fig. 10 : le lieutenant Miguel Gimenez descend un hélicoptère Sea King avant d’être tué.

Un Pucará, avion de fabrication argentine bi-turbo-propulseur Turbomeca piloté par le lieutenant Gimenez, repérait le débarquement et alertait sa base, attaquait un chaland de débarquement au canon et à la roquette et surprenant un hélicoptère Sea King, le descendait avant d’être abattu et tué, probablement par un missile Blow Pipe ou Red Eye fourni par les Américains.

A 10h10, une première vague de 8 Mirage et de quatre A4 s’abattit sur les navires britanniques malgré les conditions difficiles – G négatifs, avec une lourde charge de bombes pour franchir les collines et piquer, ensuite redresser sous fort facteur de charge au ras de l’eau et se trouver aussitôt en contact avec l’objectif en quelques trop courtes secondes.


Fig. 11 : Pucará de la FAA (© Clave)

Les bombes argentines avaient été améliorées par des détonateurs au retard ramené de 25 à 12 et 15 secondes bricolés dans les unités. Très vite les frégates Ardent et Antilope explosaient sous les coups répétés De nombreux navires étaient endommagés. Le deuxième raid, à 12h15 fut tragique. Sept avions furent perdus, cinq dont deux Mirage par DCA et deux A4 abattus par des Harrier de la RAF dont les pilotes étaient, de l’avis des Argentins, infiniment plus expérimentés que ceux de la Navy, au cours d’une mêlée confuse sous la pluie, pendant laquelle deux Harrier entraient en collision.

Cette nuit là, les Canberra argentins bombardèrent un dépôt de munitions et de carburant qui brûla jusqu’à l’aube.

Fig. 12: La frégate Antilope explose sous les coups répétés.

Au cours des raids des 22, 23, 24 et 25 mai, sur 117 sorties menées à leur terme sur San Carlos, 13 avions argentins ne revinrent pas, la plupart ayant été abattus grâce au nouveau Side Winder américain. Pouvant être tirés dans toutes les positions relatives en frontal, à angle droit, en dénivellation haute ou basse, ces petits monstres froids et mortels, auto-guidés, étaient imparables pour les pauvres avions argentins, démunis de contre-mesures électroniques ou pyrotechniques actives ou passives les plus élémentaires.

Cependant, malgré ces handicaps, un sister ship du Coventry aurait coulé selon les Argentins et le croiseur Glasgow endommagé. Une autre Leander, l’Argonaut, aurait été également coulée tandis qu’une frégate 21 et une frégate 22, non identifiées, seront photographiées le 25 et le 28, faisant retraite, mal en point, sauvées par le mauvais temps.