Les obsèques du colonel Pierre-Henri Clostermann, Grand-Croix de la Légion d’honneur et compagnon de la Libération ont été célébrées en la cathédrale Saint-Louis des Invalides, ce lundi 27 mars 2006 à 9h.
Une cérémonie militaire présidée par le général d’armée Georgelin, représentant le Président de la République, s’est déroulée à l’issue du service religieux en présence notamment des délégations de l’escadron 1/30 « Alsace », des associations d’anciens combattants et de nombreuses autorités civiles et militaires, dont Monsieur Jean-Louis Debré – président de l’Assemblée Nationale et de Monsieur Pierre Messmer – ancien Premier Ministre.
Les honneurs militaires ont été rendus au colonel Pierre-Henri Clostermann dans la cour d’honneur des Invalides.
A cette occasion, le général d’armée aérienne Thouverez, représentant le général Wolsztynski, chef d’état-major de l’armée de l’air, en déplacement à l’étranger, a prononcé l’éloge funèbre retraçant le parcours exceptionnel de cette figure légendaire des forces aériennes françaises libres (FAFL).
Oraison funèbre du colonel Pierre-Henri Clostermann
Prononcée par le père Jacques Griffond, Aumônier général catholique de l’Armée de l’Air.
Le 20 avril 1945, en mission aérienne sur le secteur de Brême-Hambourg, Pierre Clostermann est pris sous le feu conjugué de nombreux appareils ennemis et de la défense antiaérienne.
Son avion est touché à plusieurs reprises et lui-même est blessé. Avec un appareil endommagé il surmonte l’atroce nausée de peur qui lui monte à la bouche et fait face à ses adversaires. L’un d’entre eux engage. Pierre Clostermann, usant de sa science du pilotage, dégage son appareil, surprend son adversaire et l’abat. Presqu’aussitôt, il repère un avion ennemi qui tente de s’échapper et le prend immédiatement en chasse, mais s’aperçoit qu’il est lui-même l’objet d’une attaque en règle de plusieurs autres appareils. Utilisant toutes les ressources de son avion, il échappe à ses agresseurs sans cesser de poursuivre son adversaire qu’il finit par abattre.
Ces trois maximes me semblent bien définir les traits majeurs de la personnalité de celui dont nous faisons aujourd’hui mémoire.
Pierre Clostermann n’a pas laissé les obstacles de l’existence devenir son souci majeur, prendre une importance telle qu’il devait mobiliser toute son énergie pour les écarter. Les handicaps humains et mécaniques, avec lesquels il dut composer, ne parvinrent pas à le décourager mais, au contraire, renforcèrent sa détermination, stimulèrent son imagination. L’adversaire, si résolu et si armé soit-il, ne parvint pas à dompter son énergie.
A travers sa vie, Pierre Clostermann apparaît comme le témoin d’une attitude susceptible de nous aider à affronter les défis du présent dans un monde que Jean-Claude Guillebaud définit sous le mode d’une ‘grande inquiétude’.
‘Une inquiétude spécifique habite l’époque. On pourrait la dire ontologique […] Chacun de nous, dans les tréfonds de lui-même, pressent la radicalité des changements anthropologiques dans lesquels nos sociétés sont entraînées […] Le monde nouveau dans lequel nous entrons demeure pour une large part indéchiffrable […] Devant la radicalité de ce changement, on voit bien quelle est l’ultime tentation : renoncer à agir sur l’histoire, s’abandonner, faute de mieux, au cours des évènements, prendre son parti du cours des choses et, tant bien que mal, gérer à minima le présent’.
(Article : ‘La grande inquiétude’ paru dans la revue Etudes n° 4041 de janvier 2006, p. 11 et 14)
Cette tentation de la démission face au cours des évènements que nous subissons ou que, au mieux, nous accompagnons, ne peut être la nôtre si nous nous attachons à l’exemple de Pierre Clostermann.
De Guynemer aux pilotes d’aujourd’hui en passant par Pierre Clostermann, les hommes et les femmes de l’aéronautique ont appris à ‘faire face’, aussi bien dans leur vie professionnelle que leur vie civile.
La tentation de la démission, l’éventualité de ne pas engager le combat, ne sont pas des attitudes humaines et donc pas des attitudes chrétiennes.
Face à l’adversaire, Jésus n’a jamais baissé la garde. Au nom même du respect qu’il porte à l’homme, Jésus a du, parfois, s’opposer aux personnes qu’il rencontrait, dénoncer leurs travers et les engager à jouer pleinement leur rôle dans l’histoire en se situant à leur vraie place qui est celle du service, du don de soi et non pas celle de la domination, de l’asservissement, de la possession de l’autre.
Jésus nous a appris que nous ne possédions rien, pas même la vie, mais que nous pouvions tout recevoir, même la vie. Jésus nous a appris que nous recevions tout de Dieu, et d’abord la vie.
C’est pourquoi Jésus a pu affronter la mort, Jésus a toujours été prêt à remettre sa vie entre les mains de son Père du ciel pour nous engager à faire de même, à nous montrer toujours prêts à rencontrer Dieu, à faire de notre histoire terrestre ce lieu de rencontre vitale avec Dieu à travers le souci du service de l’autre qui peut aller jusqu’à s’opposer à lui.
C’est aussi la raison pour laquelle, parfois malheureusement, l’emploi des armes devient un mal nécessaire au profit de l’homme lui-même, au service de l’homme.
Pour faire face à la réalité du monde qui était le sien, Pierre Clostermann a du faire usage des armes. Nous devrons, nous aussi, parfois, faire usage de la force pour nous montrer vraiment responsables de nos frères et sœurs en humanité, ceux là même pour lesquels Jésus de Nazareth a vaincu la mort à travers sa résurrection. Telle est la source de notre « espérance et de cette joie à laquelle nous engage Saint Pierre.
Nous qui sommes ici aujourd’hui, sommes de ceux-là, frères et sœurs en humanité, avec Pierre Clostermann, du Ressuscité du matin de Pâques.
Avec ceui que nous accompagnons aujourd’hui de notre prière, avec tous ceux que nous avons connus et aimés, avec nos frères et sœurs d’hier et de demain, nous pouvons toujours ‘faire face’ en Jésus ressuscité des morts.
Père Jacques Griffond,
Aumônier général catholique de l’Armée de l’Air.
Eloge funèbre du colonel Pierre-Henri Clostermann
Prononcé par le général d’armée aérienne Patrick THOUVEREZ, inspecteur général des armées Air.
Paris – cathédrale Saint-Louis des Invalides,
le 27 mars 2006.
En rendant hommage au Colonel Pierre-Henri Clostermann, c’est la mémoire de l’As des As et du pilote de légende, que nous saluons aujourd’hui ; cinq années de sa vie, façonnées d’air et de feux, consacrées à défendre ce qu’il reconnaissait comme essentiel : la liberté.
Mais certaines existences sont mieux remplies que d’autres et bien que définitivement ancrées dans nos mémoires, ces quelques années ne sauraient à elles seules résumer toute sa vie. C’est pourquoi aujourd’hui nous saluons aussi l’homme de lettres de renommée internationale, le député élu de la République et le dirigeant d’entreprises.
Fils de diplomate, c’est sous le ciel brésilien à Curitiba que Pierre-Henri Clostermann voit le jour le 28 février 1921. Après ses études secondaires à Paris, titulaire du baccalauréat, il revient à Rio. Sur place, il se passionne déjà pour l’aviation et obtient son brevet de pilote le 27 novembre 1937.
Etudiant aux Etats-Unis lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, sa demande d’engagement est rejetée par le consul de France. Il se consacre alors à ses études d’ingénieur en aéronautique et à la réussite de sa licence de pilote professionnel. C’est dans la presse américaine qu’il découvre l’appel du Général de Gaulle. Refusant d’admettre la défaite de la France et en accord avec son père, il rejoint Londres et les Forces Aériennes Françaises Libres le 18 mars 1942.
Après une formation trop longue à son goût, aux commandes des « Spitfire » de la Royale Air Force, les choses sérieuses commencent enfin. Il reçoit son affectation à l’escadrille « Mulhouse » du Groupe de chasse « Alsace », le Squadron 341 « Free French », en janvier 1943. Dès lors, il affirme sans jamais faillir son courage et sa détermination aux côtés de ces fils de France capables un jour de faire pour leur pays le plus grand des sacrifices, celui de leur vie. Ainsi, il participe à l’offensive au-dessus des territoires occupés et obtient sa première citation à l’ordre de l’Armée aérienne en abattant deux Focke Wulf 190 (FW 190) au cours d’un même combat le 27 juillet 1943. Les missions se succèdent la peur au ventre et les victoires s’accumulent.
De juin 1943 au début de l’année 45, nommé sous-lieutenant, il accomplit plus de 200 missions offensives et de bombardement et décroche sa 8eme victoire aérienne. Pour sa bravoure et sa valeur exceptionnelle, il reçoit la plus haute distinction britannique, la « Distinguished Flying Cross », le 7 août 1944.
Le 2 mars 1945, il prend le commandement d’une escadrille du Squadron 274 équipée d’avion « Tempest ». Blessé par balle au cours d’un combat, il parvient à regagner sa base. En récompense de ses états de service et de son engagement, il est nommé commandant du 3eme groupe du Squadron 56. Comme pour justifier l’honneur qui vient de lui être fait, ce jeune homme de vingt-quatre ans multiplie les missions et ajoute 5 nouvelles victoires.
Officier pilote de chasse, incarnant les plus belles traditions de patriotisme, dont l’action au combat méritera toujours d’être citée en exemple, il termine cette prestigieuse campagne avec le grade de capitaine, totalisant plus de 2000 heures de vol dont 600 de guerre, et un palmarès exceptionnel : 33 victoires aériennes et 17 citations à l’ordre de l’Armée aérienne.
Mais là, ne s’arrête pas sa formidable épopée. Revenu à la vie civile, il exerce son métier d’ingénieur à Paris et entame simultanément une carrière d’auteur en publiant ses souvenirs de guerre, Le Grand Cirque, en 1948. Un succès international, au travers duquel il a su communiquer sa passion du vol à plusieurs générations de pilotes. A cette époque débute son amitié avec Ernest Hemingway avec qui il partage son goût pour l’écriture et la pêche.
Homme infatigable aux multiples facettes, il s’engage dans la vie politique au côté du général de Gaulle ; d’abord député du Bas-Rhin en 1946, de la Marne en 1951, puis en janvier 1956 du département de la Seine.
Mais, les événements en Algérie et son désir d’action le conduisent à accepter son rappel dans l’Armée de l’air. Pilote sur Broussard MH1521, il assure 116 missions d’observation et de guidage de l’aviation de chasse qu’il décrit dans Appui-feu sur l’Oued Hallaïl.
De retour en France, il retrouve son siège au Palais Bourbon jusqu’en 1958. Député de Seine-et-Oise en 1962 et des Yvelines en 1967, vice-président de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée nationale à partir de 1963, il quitte ses fonctions en 1969.
Après les combats et la politique, il s’investit et brille dans l’industrie aéronautique ; président directeur général de « Reims-Aviation », vice-président de « Cessna » aux Etats-Unis, et administrateur des sociétés Renault et Avions Marcel Dassault. Si d’une main, il dirige des entreprises, de l’autre, il continue de manier la plume avec succès et ses œuvres sont le récit vibrant de son engagement contre tous les totalitarismes.
Madame, il a trouvé auprès de vous, de ses enfants et petits enfants la force de lutter avec courage comme il l’a toujours fait en refusant l’adversité. Retiré à Montesquieu-des-Albères, dans les Pyrénées orientales non loin de Perpignan, il était toujours soutenu, entouré de ses souvenirs et trophées glanés au fil d’une vie assurément pas comme les autres.
Honoré des plus hautes distinctions : Grand Croix de la Légion d’honneur, Compagnon de la libération, médaillé militaire, médaillé de la résistance avec rosette, décoré de la Distinguished Flying Cross, le Colonel Pierre-Henri Clostermann nous a quitté le 22 mars 2006, pour son dernier vol.
La France perd aujourd’hui un de ses plus fervents défenseurs, un homme de fidélité et d’engagement qui n’a jamais cessé de se dévouer à son pays et à ses compatriotes.
Saluons-le.
Le général d’armée aérienne Patrick THOUVEREZ,
Inspecteur général des armées Air.