Le F406 Caravan II, dessiné par Pierre Clostermann, était le dernier Cessna encore assemblé à Reims en 2013 (© Reims Aviation)
Max Holste est né en 1913 à Nice. Très jeune il tombe amoureux des airs, de l’histoire encore récente de ses pionniers et s’engage à l’école de Rochefort en 1925.
Il se tourne rapidement vers l’industrie et dessine son tout premier avion aux alentours de 1934, mais l’usine de menuiserie dans laquelle il est établi faisant faillite, il ne pourra pas mener à terme sa fabrication. Il participera ensuite à l’élaboration de l’Amiot 354 et construira, aux alentours de 1938, plusieurs petits appareils de records pour la Coupe Deutsch de la Meurthe, dont le MH 20 qui n’effectuera son premier vol qu’en 1941 sur la base de Villacoublay après une réquisition par la Luftwaffe.
(2) Rare photographie du MH20 aux marquages de la Luftwaffe sur la base de Villacoublay (1941)
Dès 1940, Max Holste avait préparé le projet d’un avion biplace d’école, le MH 52 qui fera son premier vol en 1945 et dont il espère des commandes de l’État. Il crée pour cela la Société Anonyme des Avions Max Holste mais ne produira que 13 exemplaires. A train escamotable il pouvait accueillir plusieurs types de moteurs portant la puissance de 95 à 150 ch. Une variante, le MH 53 « Cadet », à train fixe, propulsé par un moteur de Havilland Gipsy Major 10 de 135 ch, ne sera produit qu’en un seul exemplaire.
En l’an 2000 il ne restait que deux MH52. Le no 4 attendait d’être restauré en condition de vol près de Paris et le no 11 était stocké près de Bergerac.
(4) Le MH52, avion-école de Max Holste en 1945 (© Philippe Ricco)
Après plusieurs tentatives, il obtient en 1950 un marché national pour la réalisation du prototype d’un avion destiné à l’observation d’artillerie. Il élabore ainsi les premières caractéristiques du MH-152 mais déplore l’absence de moyens pour sa construction.
Dépourvu de locaux, il finira par installer son atelier à Reims avec l’aide de Pierre Clostermann, dans un espace vacant de l’usine de Marcel Renaudat, beau-père de ce dernier et qui avait fait fortune dans la reconstruction de la cité rémoise ravagée par les batailles de la Marne (1915-1917)
Le prototype MH-152 donnera rapidement satisfaction à l’Armée de l’Air ce qui ouvre dès lors la mise en chantier d’une variante, le MH-1521 « Broussard » ou avion de brousse, facile à construire avec peu de moyens, robuste, aisé au pilotage par des débutants et qui peut décoller et atterrir sur des pistes courtes.
(6) Max Holste posant devant le prototype du MH-152 fraichement sorti de son atelier installé dans les locaux de Marcel Renaudat (Reims)
Pierre Clostermann participe activement à l’étude du MH-1521 et à sa promotion par l’intermédiaire de son réseau de contacts. Le premier vol du « Broussard » a lieu en 1952. Nous sommes alors en pleine guerre d’Indochine et l’état-major, en manque d’avions légers de liaison, exprime un intérêt particulier pour cet avion.
La guerre d’Algérie est déclarée en 1954 et plusieurs commandes de préséries sont signées. L’étude de l’appareil et des variantes d’utilisation achevée, la Société Nouvelle des Avions Max Holste (SNAMH) est crée le 18 avril 1956 pour la production en série du MH-1521 Broussard.
(7) Max Holste posant devant le MH-1521 « Broussard » n°02 (Reims, 1956)
En juin 1956, Pierre Clostermann, alors député du département de la Seine, est autorisé sur demande à prendre congé de son mandat pour participer aux opérations en Algérie. C’est en situation de combat qu’il pourra évaluer les limites de son Broussard dans les unités d’observation ELO 3/45 puis ELO 4/45. Il évoquera le souvenir de ces missions pouvant durer plusieurs jours dans un ouvrage paru en 1960 : « Appui-feu sur l’Oued Hallail »
(8) Le Broussard Zoulou Lima (n°020) de Pierre Clostermann en Algérie
Max Holste tente alors d’élargir l’utilisation du Broussard aux régions reculées où font défaut les infrastructures ferroviaires et routières et dans lesquelles les caractéristiques de rusticité et de facilité d’entretiens pourront être appréciées sur les lignes d’apport et sans terrain préparé. Ce sera la naissance des Super-Broussard MH-250 puis 260.
Il se heurte alors aux projets des services officiels et des compagnies souhaitants un avion de la taille du DC3, turbopropulsé et avec une cabine pressurisée. Le développement du MH-262 devenait alors bien plus complexe et coûteux et son financement irréalisable.
Max Holste craignant de perdre son indépendance, imagina une série d’accords commerciaux de sous-traitance avec Nord-Aviation puis avec Cessna qui devait faire la promotion de l’appareil aux Etats-Unis.
(9) Le Super Broussard qui précipita le départ de Max Holste
Rapidement la situation se dégradait pour la SNAMH et les accords furent revus en faveur de Nord Aviation. Max Holste se tourna alors vers ses associés de Cessna pour un nouveau projet lequel essuya un refus catégorique.
Le conseil d’administration de Cessna émettait des critiques particulièrement violentes sur les stratégies de Max Holste dont la gestion était considérée comme « personnelle ». Au lieu d’apporter des modifications progressives au Broussard par une version à train rentrant, puis une autre plus puissante pour une dernière version pressurisée – ce qui lui aurait permis de réaliser des économies d’échelles permettant le développement du Super Broussard, il avait consacré presque tous les bénéfices du MH-1521 à l’élaboration de ce dernier. Il n’avait dès lors plus les moyens de construire un prototype sans une participation quasi intégrale de Cessna et Nord Aviation. Après un partenariat fructueux de plus de dix ans entre Max Holste et Pierre Clostermann, les conflits sur la bonne gestion du groupe rendaient l’atmosphère intenable et les oppositions avec Cessna mettaient en péril l’avenir de la société. Max Holste souhaite alors se retirer et rachète ses droits sur le MH-250 contre la vente de ses actions et l’interdiction d’utiliser son nom.
« Max Holste était un innovateur auto-didacte et sans capitaux et Pierre Clostermann, vice-président de la commission de la Défense nationale, s’il ne possédait pas, lui non plus, de capital économique, avait construit un capital de relations sociales à la fois dans l’État français mais aussi dans l’industrie aéronautique. Max Holste créait les avions alors que Pierre Clostermann assurait les relations avec l’État et les clients privés »
(Marc-Daniel Sieffert)
En 1962, la Cessna Aircraft Company rachète 49% des parts et s’associe avec Pierre Clostermann (51%). Selon les termes de l’accord convenu, la raison sociale change pour devenir « Reims Aviation ». En 1964 c’est son père Jacques Clostermann qui est nommé P-DG de la société, Pierre ne reprenant la direction générale qu’en 1970.
Reims Aviation connaitra dès ses débuts une croissance vertigineuse qui la portera rapidement au rang de premier constructeur européen. Le 2000e avion Cessna sera assemblé sur ses chaines en 1971.
En 1977, Pierre Clostermann défend auprès du conseil d’administration de la Cessna un nouveau projet.
Reprenant son crayon abandonné depuis 1939 (lire l’article sur le HL2, un avion construit à 18 ans), Clostermann partit des caractéristiques d’un Cessna 404 Titan en lui mettant deux turbines Pratt & Whitney PT6. Afin de palier à l’augmentation de puissance, il redessina la forme de l’empennage arrière et des gouvernes de profondeur et réussit à faire passer le 404 de 8 à 12 passagers tout en augmentant sa vitesse de montée et son altitude de croisière, maintenant stables les autres paramètres. La Cessna Aircraft Company donna son accord et le nouvel appareil baptisé Cessna 406 Caravan sera produit en France sous le nom de F406.
(11) Le dernier F406 assemblé (le n°0098) au décollage de Reims Prunay en 2013 (© JN SIROT pour Reims Aviation)
Malheureusement ce petit bijou, à la ligne superbe, ne fera son premier vol qu’en 1983, après le départ de son créateur.
Le 5000e avion Cessna est assemblé à Reims en 1979. La société emploie alors près de 500 personnes.
Pierre Clostermann devient administrateur des avions Marcel Dassault en 1977. En 1980, la Cessna Aircraft Company est rachetée par General Dynamics qui produit le F-16. Afin d’éviter tout conflit d’intérêt entre les industries militaires françaises et américaines, il démissionne de son poste et revends ses parts de la société. Le vice-président Jean Pichon devient alors PDG de Reims Aviation.
En 1967, lorsque Pierre Clostermann se retrouva dans le QG du Chel Ha’Avir avec son ami Ezer Weisman* pour le déclenchement de la guerre des Six Jours, il avait déjà produit 300 fuselages de Mirage III en sous-traitance de Dassault.
Après les évènements de 1967, Charles de Gaulle annonça un embargo sur tout le Moyen orient mais qui se limitait pour Israël aux Mirage V et aux vedettes Sa’ar III.
Les israéliens entreprirent alors la construction de leur propre version de l’avion de combat français (Mirage III) dont ils avaient obtenus des plans en Suisse. Ne disposant pas de tous les outillages pour finaliser le projet, Ezer Weizman demanda alors à Pierre Clostermann de lui fournir – ou de construire, malgré l’embargo, les instruments nécessaires.
En 1970, grâce à la collaboration discrète de la France et par l’intermédiaire de Reims Aviation, le projet Kfir ou « lionceau » put être mené jusqu’à son terme dans les usines de Bedek (Israel Aircraft Industry)
Malgré de nombreuses oppositions de l’Etat hébreu au sujet des importations d’avions français, Ezer Weizman* obtiendra gain de cause quand le Kfir, avion de type chasseur-bombardier, sauva in-extremis Israël pendant la Guerre du Kippour en 1973.
*Ezer Weizman sera élu président de l’Etat d’Israël en 1993.
(12) Le Kfir dans sa première version (C1) sans les plans canard (template pour CombatAce © Ludo.m54)
Le F406 sera le dernier appareil de type Cessna à être assemblé à Reims en 2013, date de cessation d’activité de Reims Aviation Industrie (entité crée par d’anciens employés en 2003) et qui ne s’est jamais remise du défaut de gestion du repreneur Serge Bitboul.
En 2014 le tribunal de commerce de Reims a choisit la société ASI Innovation pour reprendre l’activité de Reims Aviation Industrie, en partenariat avec Continental Motors (filiale du groupe chinois AVIC). Le projet d’ASI Innovation a permis de conserver 31 des 61 employés par la création sur le site de Prunay du bureau d’études ASI Aviation. Son président Jean-Pierre Kohn espère reprendre la production du F406.
Reims Aviation produira de nombreux éléments en sous-traitance pour les grands programmes nationaux. Sous la présidence de Pierre Clostermann seront produits :
– Les aérofreins du Super Etendard
– Le fuselage et la manche à air du Mirage III
– Les trappes du Mirage F1
– Les ailerons du Transall
– Les ailerons et les aérofreins du Mystère 20
– Le tronçon 3 du Falcon 10
– La pointe avant du Falcon 50
– La nourrice du Falcon 200
– Les poutre-planchers des Airbus A300 et A310
– Des panneaux de revêtement pour l’Airbus A320 et l’Embraer 170
– Le carénage de train, les empennages et la pointe arrière du N262
– Les trappes de train du Mirage 2000
– Cessna 150 et 152 : 2 405 appareils (types F, FA et FRA)
– Cessna 172 : 3 006 appareils (types F, FR et RG)
– Cessna 177 RG : 177 appareils
– Cessna 182 : 296 appareils (types 182, F et RG)
– Cessna 337 : 181 appareils (types F, FT et FTB)
– Cessna 406 F : 97 appareils
– Cessna 185, 188, 206 et 207 : 205 appareils
Soit un total de 6 397 appareils dont plus de 5 000 sous la présidence de Pierre Clostermann.